Comme le dit très justement Maître Yoda à son jeune disciple Luc Skywalker dans Stars Wars : « Oui ! Tu auras peur ! ».
Pourtant fréquente dans notre activité, cette émotion est plus ou moins taboue. Marque de faiblesse, difficulté d’en parler, masculinité de notre sport, inconscient collectif, éducation propre à chacun, réussite en société, culture, etc… Il existe tout un tas de raisons subjectives et/ou objectives nous permettant d’esquiver la question. Afin d’éclaircir mon propos, voici une petite recette de cuisine facile à réaliser. Prenez au choix quelques uns des ingrédients mentionnés ci-dessus. Bien délayer avec un soleil printanier, badigeonner le tout avec du vent, saupoudrer d’instabilité et de cisaillements, assaisonner avec un soupçon de mauvaise foi, puis déguster en radio : « Heu, j’ai froid aux mains. Je vais me poser ! ».
Dans un premier temps, il me paraît important de définir la peur, le stress, l’angoisse et l’anxiété. Ces notions étant trop souvent confondues. Ensuite, j’essaierai de faire des liens avec le vol.
La peur provient d’un danger immédiat. Cette réponse, face à l’imprévu, met en route une multitude de mécanismes physiologiques et psychiques nous permettant de combattre ou de fuir. L’adrénaline afflue dans nos veines. Cette hormone, très connue, nous rend physiquement plus fort, agit comme antalgique, de même qu’elle aiguise nos sens et fait virevolter nos pensées. Ce dispositif a permis à l’homme de survivre jusqu’à ce jour. En effet, face à un mammouth furibond, nos lointains ancêtres ont eu bon d’utiliser cette stratégie de survie pour je puisse en parler aujourd’hui. Celle-ci est particulièrement efficace. En résumé : danger = peur = fuite/combat. Il existe, toutefois, une exception où l’individu ne tentera pas de s’échapper ni de lutter. Stoïque, sans bouger, celui-ci restera pétrifié. Heureusement, ce cas est plutôt rare.
Le concept d’anxiété diverge quelque peu. Il s’agit d’une peur sans « objet ». J’entends par objet une menace ou un danger réel, visible. Exemple : un individu en panique bloqué dans un ascenseur est en proie à de l’anxiété. Nous sommes ici dans le domaine de l’imaginaire, de l’interprétation. Il n’y a objectivement aucun danger pour le malchanceux. Aucune possibilité qu’un malade mental vienne l’attaquer par téléportation… Aucune chance n’ont plus qu’un bus le percute. Pourtant le sujet subit l’effroi, sans raison. L’angoisse est très proche. Il s’agit du versant somatique de l’anxiété. Sueurs, pâleur, insomnies, myalgies, nœuds à l’estomac, difficultés respiratoires,… sont les signes de l’angoisse.
Il est possible de passer de l’anxiété à l’angoisse rapidement, et vice versa, voire de subir les deux en même temps. Il s’agit dans tous les cas de sensations très désagréables. Enfin, contrairement à la peur, ces dernières sont plutôt inhibitrices et la notion de temps apparaît. Car, contrairement à la peur, celles-ci peuvent perdurées de manière indéterminée. « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais le jugement qu’ils portent sur ces choses ». Citation d’Épictète, philosophe grec.
Le stress, j’avoue que ce terme m’agace quelque peu, car utilisé à toutes les sauces : « je suis stressé au boulot », « ça me stresse cet exam », « la vie est stressante », « ce déco me stresse ». Comme précédemment, il est aussi lié à des agressions extérieures mais ce n’est pas une émotion, même s’il peut en catalyser certaines (surprise, colère, haine,…). En fait, c’est la différence entre une demande d’adaptation à un moment donné et la capacité d’y faire face. Il peut être positif ou négatif. Je m’explique. Prenons le cas d’un changement de poste de travail. Celui-ci va nous demander un certain temps pour ajuster et apprivoiser la tâche. Rien d’anormal à tout ça, sauf que si nous n’arrivons pas à gérer, au bout d’un moment, la boule au ventre apparaît quotidiennement, et le stress se transforme en peur. Donc, du stress c’est bien par ses bienfaits stimulants, mais point trop n’en faut.
Pour conclure cette première partie, noter que les quelques mots que vous venez de lire sont le fruit d’analyses conceptuelles à la « française ». Dans les pays anglo-saxons, ces notions sont autres. J’aurai aussi pu m’attarder sur les sensations et les émotions en les définissant, mais ce sera pour une prochaine fois peut-être, place au vol !
Il n’y a pas de honte à avoir peur. Elle est signe de bonne santé mentale. Lorsque nous évoluons dans les airs, notre inconscient et notre corps savent que nous n’avons rien à faire là. Qu’on le veuille ou non, nous sommes soumis au stress. Stress, qui va diminuer avec l’expérience du pilote. Normal : adaptation = moins de stress.
Alors, qu’est-ce qui peut nous aider à lutter contre ? Les représentations éclairées du milieu sont particulièrement sécurisantes. Lecture, capacité d’analyse d’une configuration météo donnée en supposant son l’évolution, débriefings des traces GPS, observation des autres pratiquants et des nuages même si ça ne vole pas. Effectuer des gonflages au sol, voler encore et encore. Tous ces éléments favorisent la compréhension de l’environnement, permettant de s’y familiariser. Le but étant d’éviter au mieux l’imaginaire.
Ensuite, il me semble important d’identifier ce qui se passe au travers de notre corps et de notre esprit. « Tiens, je me sens moins bien !? » Est-ce de la peur, du stress, de l’anxiété ? Ou peut-être est-ce simplement de la fatigue ? Il est clairement établi qu’à partir du moment où nous identifions le problème, celui-ci devient plus facilement gérable. Il s’agit, mentalement, de mettre des mots sur ce que nous ressentons. En lien avec ceci, voici une technique qui marche pas mal. C’est de s’exprimer à voix haute. Il n’est pas rare que je parlemente avec ma voile. Il s’agit plus de vociférations à vrai dire… Cette méthode permet de se libérer d’émotions trop envahissantes. Essayez, vous verrez. Mais cela ne fonctionne pas à tous les coups.
La peur est furtive, plutôt aidante. Elle facilite la concentration lors d’un décollage technique. Il n’y a pas de raison de lutter contre, sauf si elle nous fait perdre tous nos moyens. Lorsqu’il s‘agit d’anxiété, cela se complique sérieusement. Je vais vous évoquer une expérience vécue il y a peu de temps. C’était un vol à St Vincent-les-forts, en compagnie notamment d’Arnaud V. et de Gérard V. Le 18 mars dernier pour être précis. L’ouest rentrait fort. Les thermiques étaient généreux. Première frayeur, quand, arrivés sur Dormillouse, les ascendances et le vent conjugués ont commencé à nous faire reculer. Après s’être éloignés du danger, tout est rentré dans l’ordre (Gérard veillait au grain, merci pour ta bienveillance). Deuxième chaleur, au niveau du Pic de Bernardez, brassé, mal placé dans la masse d’air, j’ai fait demi-tour. Cette fois-ci, la trouille s’est transformée en anxiété. En effet, je me suis demandé ce qu’il allait m’arriver dans les 5 prochaines minutes. Donc, j’ai mis en place une stratégie qui fonctionne à merveille : la respiration abdominale. Inspirez calmement par le nez en gonflant le ventre, puis expirez par la bouche en rentrant le ventre. Cet exercice est la base de la méditation. Il ne s’agit aucunement de propagande mystique… Celle-ci permet de lâcher prise et de vivre pleinement le moment présent. Cette technique marche vraiment. Les bénéfices ne sont pas ressentis seulement au niveau du confort psychologique, elle aide également notre cerveau à fonctionner correctement. Oxygène, eau et sucre sont mieux assimilés. Donc, en plus d’une respiration adaptée, il faut songer à boire et à manger (en transition…). Ce qui est de nouveau l’occasion de donner un petit coup de fouet au moral. D’autant que la peur et l’angoisse sont grandes consommatrices d’énergie. Il ne viendrait à personne l’idée de faire une activité physique prolongée sans s’hydrater ni consommer des barres de céréales. En cross, les 2 heures de vol sont très rapidement atteintes…
Ensuite, il existe une autre méthode connue comme antistress, le rire. Il augmente la capacité respiratoire, réduit les tensions musculaires et oxygène le corps en faisant travailler le diaphragme (cf respiration abdominale). Il a des effets analgésiques via les endorphines produites. Les bénéfices sur le mental sont nets. Le rire est d’autant plus intéressant que ses effets bienfaisants sont les mêmes si l’on décide de rire volontairement ou non. Je n’ai malheureusement pas encore expérimenté cet outil. Déjà que j’ai tendance à dialoguer avec mon aile…
Un mot maintenant sur l’hygiène de vie. Il est important de ne pas oublier que nous évoluons à haute altitude, que notre vitesse air moyenne est comprise entre 30 et 50km/h, que les UV sont moins filtrés. Le soleil est notre moteur, mais il ne faut pas sous estimer ses capacités à nous assécher la peau, voire à la brûler. Penser à s’enduire de crème avant de décoller n’est pas négligeable. Un sommeil réparateur et une bonne alimentation aident notre organisme à lutter contre toutes ces attaques. Il faut éviter aussi de faire une fête la veille d’un gros vol. Cela paraît évident.
En définitive, si j’évoque brièvement l’attention que nous devons porter à notre corps, c’est que nous fonctionnons comme un tout social, somatique, mental et spirituel. Par principe des vases communicants, un seul de ces éléments vacille et c’est tout le château de cartes qui s’écroule. L’équilibre est plus bien précaire qu’il n’y paraît.
Conclusion :
Nous sommes quotidiennement assaillis de toutes parts. Dans le milieu professionnel, en voiture, dans les transports en commun, par le bruit, la météo, notre capacité à encaisser les attaques et à s’adapter varie d’un individu à l’autre. Chacun est armé différemment. Il me semble donc que l’adaptation est une qualité à travailler. Notre activité réclame aussi justesse, sérénité, ténacité. Elle nous apprend beaucoup sur nous-mêmes…
Enfin, je sors du sujet pour encourager Fred N. qui prépare en ce moment le St Hil AirTour, assisté par Yves B. La course, à ne manquer sous aucun prétexte, est à suivre en live tracking du 14 au 22 juin sur :
S.R. Mai 2014